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L’empreinte carbone des fermes biologiques

par Tanya Brouwers

Ces jours-ci, il est toujours question d’abaisser votre empreinte carbone ou vos émissions de gaz à effet de serre (GES) causées par une action que vous posez, un produit que vous consommez ou par un individu.

La définition universelle de l’empreinte carbone est claire: ce régime ne sera pas aussi facilement applicable que de stationner l’auto et marcher vers la boîte aux lettres. Cela requerra une analyse de l’énergie et des émissions de GES produites pour fabriquer cette chemise que vous avez achetée hier, en incluant pareillement le verre de lait que vous avez bu ce matin avant de franchir précipitamment la porte.

Examinons de plus près le verre de lait. Comme tous les aliments, son empreinte carbone est mesurée en fonction de l'utilisation totale d’énergie de la chaîne alimentaire et des émissions de GES produites pour l'obtenir; en d’autres mots, l’énergie et les émissions de GES associées dans l’obtention du lait, depuis la vache jusqu’au frigo. Cela semble assez simple, mais chaque étape doit être considérée, incluant l’énergie investie pour cultiver l’aliment de l’animal, l’abriter, transporter le lait et même l’électricité consommée à l’épicerie.

Les fermes mobilisent 30-70% de l’énergie totale de la chaîne alimentaire. Le transport accapare en moyenne seulement 11% de cette énergie.

Il est intéressant de noter que, de toute l’énergie de la chaîne alimentaire incluse dans ce verre de lait, de 30% à 70% est investie à la ferme. L’activité agricole liée à ce breuvage laitier est clairement un bon point de départ pour s'ajuster la ceinture. La bonne nouvelle, c’est que des chercheurs ont déterminé que plusieurs pratiques agricoles biologiques ont le potentiel de diminuer la consommation totale d’énergie à la ferme, les émissions de GES et, par conséquent, l’empreinte carbone.

Les Drs Derek Lynch, Rod MaeRae et Ralph Martin, en coopération avec la Table ronde sur la chaîne de valeur des produits biologiques, ont publié une revue de 130 études européennes et nord-américaines comparant l’utilisation d’énergie à la ferme et le potentiel global de réchauffement tant sur les fermes conventionnelles que biologiques. La réalisation de cette revue a permis de conclure que «les preuves favorisent fortement l’agriculture biologique quant à l’utilisation d’énergie sur l’ensemble de la ferme et l’efficacité énergétique, tant sur une base de calcul à l’hectare que par produit de la ferme.»

«Nous ne parlons pas (seulement) de la quantité d’énergie utilisée quotidiennement à la ferme, comme celle consommée en conduisant un tracteur,» dit Lynch au cours d’une récente entrevue. «Nous parlons en ce moment de ces éléments tels l’engrais ajouté, ou les déjections animales si vous êtes un agriculteur biologique. Cela totalise des quantités d’énergie beaucoup plus importantes dans un système agricole que ce que vous dépensez avec vos tracteurs et équipements.»

Les secteurs de la production laitière et des grains affichent des améliorations de l’efficacité énergétique de 20% ou plus par rapport à leurs contreparties conventionnelles.

Alors que les agriculteurs biologiques ont recours à des sources d’azote plus écoénergétiques telles que déjections animales et légumineuses, les opérateurs de fermes conventionnelles utilisent des engrais azotés chimiques. Ce sont des produits à forte consommation d’énergie, obtenus en utilisant de grandes quantités de gaz naturel et de charbon. Cela explique en grande partie la consommation additionnelle d’énergie utilisée pour produire des aliments sous régie conventionnelle par comparaison à la production des mêmes aliments sous régie biologique.

“Les fermes biologiques importent simplement moins d’énergie”, réitère Lynch.

Cependant, il s’empresse d’ajouter que l’étude est de nature globale et que des différences d’utilisation d’énergie existent à l’intérieur même de l’industrie biologique. Dans certains domaines, comme ceux de l’aviculture et de la production fruitière, l’utilisation d’énergie n’était pas significativement plus basse que dans leurs contreparties conventionnelles.

Lynch explique que l’efficacité énergétique varie suivant le type de rotation de cultures. Par exemple, les vivaces incluses dans les systèmes de rotation sont beaucoup plus efficaces que les annuelles.

Les engrais verts composés de légumineuses relâchent de l’oxyde nitreux dans l’atmosphère. La quantité relâchée n'est pas précise, mais le moment de l’incorporation semble important.

Outre l’efficacité énergétique, il y a la question des émissions de GES comme indicateur de l’empreinte carbone. Les systèmes agricoles des grandes cultures et d’élevage produisent des quantités substantielles de dioxyde de carbone (CO2), d’oxyde nitreux (N2O) et de méthane (CH4). Il a été démontré que les champs sous régie biologique emmagasinent plus de carbone que ceux sous régie conventionnelle et relâchent une moindre quantité de GES dans l’atmosphère.

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Les plantes convertissent le CO2 atmosphérique en hydrates de carbone, ou sucres, au cours de la photosynthèse. Comme les plantes utilisent le sucre pour croître, une partie du carbone est relâché dans l’atmosphère sous forme de CO2. Le reste du carbone retourne dans le sol par la décomposition des matières végétales ou, si la plante a été consommée par un animal, sous forme de déjections animales. Cependant, certaines pratiques agricoles permettent mieux que d’autres d’accumuler et retenir (par séquestration) le carbone du sol.

La conclusion de cette revue est que «les pratiques courantes dans les systèmes agricoles, incluant l’incorporation au sol des cultures-abris et déjections animales, peuvent résulter en une atténuation du potentiel de réchauffement global et des GES (émissions)… principalement en augmentant le carbone du sol.» Les pratiques agricoles qui séquestrent le carbone du sol, dont plusieurs sont appliquées de façon routinière par les agriculteurs biologiques, incluent:

  • l’incorporation des engrais verts et déjections animales;
  • l’utilisation de semis pour minimiser la perturbation du sol;
  • la pratique des sols couverts plutôt que laissés en jachère;
  • l’inclusion de vivaces dans les rotations des cultures; et
  • le pâturage rotationnel des animaux d’élevage.

À cette étape de la discussion sur l’empreinte carbone, la plus grande partie de la recherche démontrant les bienfaits de l’agriculture biologique est d'origine européenne ou basée aux États-Unis. La bonne nouvelle, c’est que des scientifiques, incluant Lynch et ses collègues, travaillent fort pour définir les mêmes bienfaits en sol canadien. Cela aidera à convaincre les décideurs des bienfaits de l’agriculture biologique pour les générations de Canadiens présentes et futures.

Mesurer les émissions des GES

Il y a trois sous-projets de la GSB opérés en conjonction avec les universités canadiennes et Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Dans le premier projet, les chercheurs étudieront les émissions de N2O par les engrais verts de trèfle rouge dans un système de rotation des cultures échelonné sur 4 ans. Les légumineuses fixent l’azote de l’atmosphère. Quand les microorganismes du sol convertissent l’azote en des formes disponibles pour les plantes, le N2O est relâché. La quantité de N2O n’est pas bien documentée, mais mérite d’être examinée. Bien que les concentrations atmosphériques de N2O soient beaucoup plus basses que celles de CO2, le potentiel de réchauffement climatique du N2O est près de 300 fois plus grand.

Le projet mesurera aussi les nitrates dans les eaux souterraines. Lorsque le trèfle rouge est enfoui dans le sol, il se décompose et relâche des nitrates. Le nitrate est souhaitable pour la croissance des cultures, car il peut être absorbé par les plantes. Par contre, comme le nitrate ne s’attache pas par lui-même aux particules du sol, il peut facilement se déplacer vers l’eau et polluer les eaux souterraines. L’excès de nitrates dans les eaux souterraines a été lié à des problèmes environnementaux et de santé humaine.

Les scientifiques canadiens ont développé une technologie de pointe entièrement automatisée pour analyser l’eau qui s’échappe d’un champ d’essai. Ils espèrent obtenir une mesure précise du nitrate qui s’échappe des champs de légumineuses cultivées comme engrais verts.

Le second volet du projet mesurera les émissions de GES depuis les fèces et l’urine déposées par les animaux d’élevage dans les pâturages. Le résultat devrait aider les agriculteurs à déterminer les taux de chargement optimaux et améliorer les pratiques de gestion des pâturages pour réduire les émissions.

Enfin, l’équipe travaillera dans les fermes laitières de l’est du Canada, l’Ontario et le Québec, pour améliorer la fonctionnalité du modèle Holos pour les agriculteurs biologiques. Le modèle Holos est un nouvel outil développé par Agriculture et Agroalimentaire Canada pour estimer le cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble de la ferme.

«C’est très convivial,» note Lynch. «C’est conçu pour que les agriculteurs fassent leur propre auto-évaluation.»

Le modèle Holos requerra que l’agriculteur entre des données telles que la rotation des cultures et la quantité de déjections animales produites. Le modèle utilisera l’information et produira un nombre associé au taux général d’émissions de GES ou le Potentiel de réchauffement global.

Le modèle Holos est un programme informatique qui aide les producteurs laitiers à déterminer leur impact sur le climat.

Ce modèle n’a jamais été utilisé sur les fermes biologiques jusqu’à maintenant. C’est ici que Lynch et son équipe interviennent. Ils travailleront avec des producteurs laitiers biologiques pour déterminer les lacunes d’un modèle conçu pour les fermes laitières conventionnelles.

“Nous savons que ça ne sera pas parfait,” dit Lynch. «Ce n’est pas suffisamment adapté et ça n’aborde pas les bonnes questions pour faire ressortir comment les fermes biologiques sont régies.»

Il croit, avec son équipe, qu’avec un certain peaufinage, le modèle Holos deviendra un outil valable pour les productions laitières biologiques désirant évaluer et réduire les émissions de GES et abaisser leur empreinte carbone globale.

Programmer le futur: un modèle pour accélérer la conversion

Le Dr Rod MacRae, de l’Université York, assisté par ses collègues de recherche, conçoit un système de modélisation innovateur pour analyser les réductions de GES au cours de la conversion vers des systèmes biologiques. Les objectifs à long terme de ce projet sont de (1) encourager les agriculteurs qui se convertissent et (2) convaincre les décideurs de soutenir l’agriculture biologique pour ses effets positifs sur l’environnement.

L’aspect curieux de ce projet est qu’il se déroule entièrement dans l’enceinte des ordinateurs. Aucune visite à la ferme n’est requise. Une myriade de variables incluant l’emplacement, les données géographiques, le type de secteur agricole et même la situation financière hypothétique de l’agriculteur sont les données insérées dans le programme informatique pour produire des estimés du temps de conversion et des réductions d’émissions de GES. Ça ressemble à de la science-fiction.

« C’est une étude de divers scénarios du futur, » dit MacRae. «La plupart des études portent sur ce qui est… nous tentons d’étudier ce qui peut être.»

L’autre aspect unique de cette étude est l’attention allouée au comportement humain. Les chercheurs cherchent à identifier les facteurs qui convainquent ou dissuadent les agriculteurs conventionnels de se convertir à l’agriculture biologique. L’hypothèse sous-jacente est que les émissions de gaz à effet de serre seront réduites suite à l’adoption des méthodes d’agriculture biologique.

La littérature a identifié plus de 15 facteurs qui posent obstacle au processus de conversion, la plupart étant de nature psychologique, tels que «Que penseront mes voisins?», «Y a-t-il des conseillers fiables pour me donner de l’information?» et «Quelles sont les implications pour ma famille?»

L’obstacle principal à la conversion, admet MacRae, « est clairement d’ordre financier. » Il fait référence au soutien financier requis pour soutenir les agriculteurs pendant le processus souvent difficile de la conversion.

« Nous essayons de déterminer le niveau de politiques ou d’interventions réglementaires qui doit être en place pour potentiellement accélérer le processus (de la conversion)» déclare MacRae. Il admet cependant que tout soutien doit intéresser tant l’agriculteur que le décideur.

« L’un des principaux problèmes de notre système est la croyance de plusieurs décideurs que la main invisible du marché sera déterminante et qu’il n’est donc pas nécessaire d’offrir du soutien,» dit MacRae.

«En réalité, le marché alimentaire est si dysfonctionnel qu’aucun des signaux traditionnels censés générer des ressources ne fonctionne. À moins que quelqu’un intervienne, tant au niveau de l’information que de l’allocation de ressources (une conversion vers le biologique à pleine échelle) ne surviendra pas. »

Les chercheurs, incluant MacRae et Lynch, travaillent d’arrache-pied pour créer les expériences, analyses et preuves nécessaires pour convaincre les décideurs et le public que l’agriculture biologique est un scénario gagnant-gagnant tant pour l’environnement que pour, ultimement, tous les Canadiens.

«L’agriculture biologique a tant à offrir,» dit Lynch avec conviction. «Si nous pouvons rendre les gens conscients de cela, nous pourrons leur dire «Allez, vous voulez une empreinte carbone plus basse?» Alors, achetez bio.»

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche.Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la .


ééԳ:

  1. Lynch D, R MacRae & R Martin. 2011. The carbon and global warming
    potential impacts of organic farming: does it have a significant role in an energy constrained world? Sustainability. 322–262.
  2. Wallace B, D Lynch, D Burton & A Bedard-Haughn. 2012. Synchronizing
    N supply with crop uptake in spring wheat crop rotations by altering green manure management strategies. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  3. Ghaffari A, M Bunch, R MacRae & J Zhao. 2012. Tools for geospatial and
    agent based modeling to evaluate climate change in an agricultural watershed in transition to organic agriculture. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.